San Salvador de Baïa

De Cayenne à Salvador do Bahia...

(suite)

Port deBelem

 

Brésil 5 juillet 1982, 7 h du matin. De l'aéroport de Belem, un couple et moi, on s’engouffre dans une coccinelle WW. C’est la voiture la plus répandue ici. La vie semble 3 fois moins chère qu’à Cayenne, la Guyane est département français et tout vient de France... J'apprends qu'aujourd’hui le Brésil joue contre l’Italie. On cherche un hôtel, je les entraine sur le port, c’est toujours moins cher.

1982 les bananes

A Belem le bassin de l'Amazone est tellement vaste qu'il se confond avec la mer...

 

1982 belem

Là, plus on descend plus ça grouille de monde, des milliers de drapeaux verts et jaunes frissonnent sur les fils électriques. La samba sort de chaque magasin :"Jair Rodriguès" porté par le balancement de la batucada m’entrainent au pas malgré moi. La fille du couple se marre, j’ai les larmes qui me montent aux yeux. C’est ça le Brésil ? Des nanas et des mecs en vacances toute l’année ! Les seins poussent des débardeurs trop petits, sur des shorts moulants. Ces gens de toutes les couleurs de peaux vont sans doute travailler, c’est lundi, quand même ! Je ne peux m’empêcher d’esquisser des pas de danse ma valise d'une main et ma guitare de l'autre, j’ai vraiment pas l’impression de chercher où coucher ! La nana du couple me le rappelle assez vertement, c’est vrai, qu'on n’a pas dormi de la nuit… On trouve  des chambres séparées par des grillages prolongeant des cloisons en contreplaqué de 2 m de haut. Les douches sont au fond d’un grand couloir, mais le coin pour se coucher ne coûte presque rien, l’équivalent de 24 francs petit déjeuner compris ! L’après midi, réveil vers 18h, je sors dans la rue, j’ai faim… Merde qu’est-ce qui se passe ? Tout est fermé, les rideaux des boutiques sont remontés, pas un chat, quelques groupes isolés discutent rageusement, la mine grave… Je réalise : le Brésil a perdu devant l’Italie, fini les sambas... je rentre, rien à glander ni à se mettre sous la dent. Je m’endors vers 21h épuisé. 

7 heure du matin, des groupes discutent toujours, cette fois, les journaux sont étalés sur le trottoir, des caractères énormes barrent toute la page : des barricades surgissent dans certaines villes ! Dommage, je risque de comprendre à l’envers : la leçon 17 Assimil, c’est vraiment un peu juste ! Même pour parler foot !

1982 belem 2

Téresina, Sertao. Suis arrivé  dans l’après-midi à la gare routière épuisé, 2 nuits dans le car, 40 h au total sur des routes brinquebalantes picorées de nids de poules. Vitesse maxi, compteur plombé à 80km/h. De temps en temps et pendant des centaines de kilomètres, pour nous faire voir du paysage, on zigzague entre des nids d’autruches à 10 km/h. Le premier car nous a emmené jusqu’à Térésina à 950 kms plus à l'est, plus de la moitié du chemin reste à faire. Je rencontre une suissesse architecte. Nous avons tous les deux 10 heures à perdre dans cette ville pour prendre chacun un car différent. On en profite pour longer un fleuve aux eaux limoneuses, les laveuses, les mômes qui se baignent tout nus me rappellent le Mékong, manquent les buffles et leurs immenses cornes. On marche 2 ou 3 km...  Enfin une plage à peu près déserte. On se fout à poil. Quel pied  cette eau chaude ! Bien allongés l’un à côté de l’autre, on est bien. Un bruit de gamelles nous sort de la torpeur : juste des petits noirs de 6 à 12 ans, le plus grand, une immense bassine posée sur sa tête vient laver des cabosses de vaisselles. Il n’a pas l’air content, on lui a pris sa place, faut dire qu’elle est réduite. On se rhabille en hâte. Pendant ce temps les gamins ont déjà fait la vaisselle mais n’ont pas oublié de nous montrer toutes leurs savantes pirouettes avant de s’en aller ! Mon second car traversa les contrées arides du Nord-est le Sertao, jusqu’à Fortalesa  puis, enfin…  Salvador do Bahia.


Salvador de Baïa.

De la gare routière, mon papier à la main, je tends l’adresse au taxi (Voir la page Guyane) : il fait la moue ! puis refuse. Un autre s’approche du papier, il connait ce quartier… Le taxi grimpe dans des ruelles sur la colline, les baraquements se font de plus en plus serrés, c’est une favela. Il s’arrête près d’une charrette pleine de fruits et de légumes. Le marchand ne connait pas le nom de la famille. Un gamin s’approche en quête de quelques sous, lui, il dit qu’il connait... Je paie le taxi et le gamin m’entraine en courant dans une ruelle descendante qui serpente au milieu du bidonville, je saute de pierre en pierre parmi les eaux de vaisselles qui descendent jusqu’à la mer. Le danseur de capoeira avait dit vrai : on voit la mer de ma maison.


Haut de favela, chez la mama. Je compte les gamins : six… et j’en oublie peut-être, tous me dévisagent… le plus petit marche à peine, entrainé par celui qui vient d’apprendre. La bonne vieille maman est là. Je n’oublierai jamais son sourire, des larmes plein les yeux à l'annonce des nouvelles de son fils. Après 6 h, à la tombée de la nuit, j’ai sorti ma guitare… bien sûr qu’ils les connaissaient toutes les "sambas lentes" de mes 20 ans : "Copacabana", "Una solucion" "Felicidade" chantées par Hugues Aufray dans sa tournée en scotter des boîtes du quartier de l’Odéon et puis "Maracangha" : Un tube de Caymi.… Là, la mama s’est mise à chanter esquissant quelques pas de danse. Les voisins sont venus, écouter et voir le musicien étranger amoureux de leur musique…

Quel bonheur ce premier contact ! J’en ai eu tout plein de frissons, les larmes plein les yeux. J’étais pourtant drôlement fatigué mais quand la mama m'a montré un coin, parterre pour dormir en me tendant une couverture... Il fallait faire avec ! J'étais au Brésil !! Le matin, après avoir été cherché du lait et un régime de bananes pour toute la famille, suis descendu vers le centre ville. Comme m’avait dit Babu, (un guitariste de Cayenne) : c’est vrai qu'à Salvador, il y a un maximum de jolies filles. Déjà remarquées à Belem, toutes ont les seins aplatis sous un maillot de bain largement échancré, translucide ou transparent suivant l’envie de susciter des coups d’œil malicieux ! Un jean ou un short et les filles sont habillées! Toute la journée, mes pas ont suivi mes yeux, mes oreilles, à la recherche de la pulsation samba. Mais, dans les boutiques, j'entends souvent de la musique Caraïbes, et du Bob Marley. Par contre les musiques violentes issues des mégalopoles nord-occidentales (rock and roll) semblent inconnues.

Dans une boutique de vêtements, esquissant un pas de danse, je me suis fait littéralement dragué par une vendeuse après lui avoir fait comprendre que j’avais juste de l’argent pour manger ! et que j’étais venu au Brésil  pour la samba !  Elle a appelé tous les vendeurs et vendeuses : leur débitant un flot de paroles incompréhensibles. Ce fut la révolution dans le magasin ! On a tous chanté "Mas que nada", les clients me dévisageaient, j’étais heureux et mal à l’aise à la fois car je n'avais pas ma guitare... Après 10 minutes d’explication, j’ai cru comprendre qu’ils voulaient m’emmener danser lundi soir à 17h30 à "Secunda feria" !

18h 30. Il fait presque nuit, je remonte la rigole jusqu’à la "cabane mama." Une ribambelle de petits noirs entourent la télé en couleur. Au milieu d’eux  sont plantés, une fille d’une vingtaine d’années et un grand dadet  de 25 ans, un peu demeuré. Ils ont l’air passionnés par les feuilletons Globo. Dans ces bidonvilles les objets sont entassés par manque de place, les étagères surchargées plient, semblent demander de l’aide… Chez mama, il y a pourtant une douche qui fonctionne avec des ficelles, des fils de fer mais tout est propre. Dans les bus, tous les brésiliens que j’ai côtoyés ont une chemise blanche immaculée et un pantalon  repassé !       

Salvador : Pension de famille.  La moins chère parait-il, une grande piaule, il y a place pour 12 personnes. 250 cruzeiros par nuit (8 francs en ce moment). L’inflation de 9% par mois oblige à préciser la date ! Cinq personnes y cohabitent : un ouvrier Brésilien, un couple de jeunes Suisses, deux Israéliens dont l’un vient de descendre en stop de l’Amérique du nord, par le Mexique, l’Amérique centrale et le Venezuela. La logeuse vient de nous dire qu’en période de carnaval, ils ont hébergé jusqu’à 125 personnes, tous étrangers. Y’a pas mal de pièces mais quand même, avec seulement deux douches pour 125 c’est "un peu juste !  Depuis une semaine, je cherche des orchestres ou des batucadas, en vain…


Recherche du Club Méd. Enfin, l'embarcadère pour l'île d'Itaparica deux énormes bus bariolés viennent d'arriver ... non,  ça cause pas français mais espagnol. J'observe une nana, très à l'aise, elle va et vient d'un car à l'autre... Je m'approche d'elle :  " Tu s'rais pas une GO par hasard ? - Si ... où tu vas avec ta guitare ?... - Dire bonjour au chef de village... dis moi  son nom... si je le connais ?... - Pierre Jean... - Connais pas... - Ça fait rien, si tu veux, tu montes avec nous ". Installé au fond du car, je m'assois à côté d'une charmante brésilienne qui parle un peu français. " Il y a un orchestre au village ? - Non , il n' y a que "Disco-Club"... Je n'en reviens pas ! aucun orchestre au village brésilien du Club Med!! Quinze kilomètres  plus loin, on arrive... les cars déversent leur cargaisons de nouveaux arrivants : aucun français !! La moitié sont des brésiliens du sud, tous blancs et l'autre moitié  des argentins encore plus blancs. Une "batuk" de farfelus  accueille les nouveaux GM. Mais, d'où sortent ces guignols ? Je n'en crois  ni mes yeux,  ni mes oreilles... Des GO qui tapent sur des casseroles et des poêles à frire ??  Seul l'homme à la "caixa" (caisse claire) à l'air de battre la batida... Deux brésiliens seulement... les autres sont bretons, marseillais, parisiens... un électricien, un cuistot... Je n'en reviens pas... Après la pilule amère du football, celle-là n'est pas mal non plus! On m'indique le chef de village. Bedonnant sur un bermuda fleuri, au milieu du bruit, il hurle : " Qu'est-ce que vous voulez ?", J'essaie de parler fort mais je n'entends pas ce qui sort de ma bouche : "Je suis musicien, j'ai été GO chez Bellings à Sveti Marco"  etc...  Ma voix  s'étrangle : "Avez vous 5 minutes à l'écart... qu'on puisse parler..."  Il continue : " On est au Brésil, le bruit c'est normal". Plus au calme, il m'explique : " A cause du chômage, la formule au pair est interdite au Brésil. D'abord, 50% des GO sont brésiliens et les GM sont tous quasiment tous sud-américains et latinos. En attendant le car du soir, il me propose de ne pas repartir le ventre vide ! Spécialités du pays et bouffe française. Petits plats délicieux pour 500 personnes avant de rejoindre le ferry-boat et le continent. Merci à toi Pierre Jean.


14 juillet 82. A l'Alliance Française, Je traine mes guêtres toujours à la recherche de musiques, l'Alliance est souvent l'endroit pour faire des connaissances. C'est à 4 km du quartier pauvre où j'habite. J'y découvre un autre monde plus métissé blanc, puis une ville qui me rappelle le quartier Polanco de Mexico : patios, villas coloniales enturbannées de mosaïques aux couleurs vives, palmes envahissantes. Je reconnais me sentir plus à l'aise dans ce décor, c'est plus rassurant... Les pauvres, eux, assourdissent leur misère avec du bruit. Le bruit, ça meuble, ça rassure, ça fait exister... J'ai déjà remarqué cela à Hong-Kong, à Bangkok, je connais...

Voici l'Alliance, une petite villa coloniale. Sergio, un beau noir très élégant m'accueille : " Vous désirez ? ". Son français parfait me déconcerte un peu...  " En voyage, et pour le 14 juillet, je viens toujours dire un petit bonjour aux français" . A Montréal, à Tokyo à Vientiane j'ai fait de même.... Je suis musicien... vous  faites  quelque chose ?- Il y a un coctail au Méridien à 17h mais, je n'ai que très peu de cartes d'invitation... - Oh mais ! tout français à droit au champagne ce jour là, c'est une vieille loi française, il ne faut pas la perdre !! "   Le directeur de passage dans le hall d'entrée intervient, en souriant : " Bonjour et bienvenue, venez quand même et forcez les barrages... "  Il a l'air sympa ce directeur, n'a pas l'air d'aimer les huiles en place à ! . Confortablement enfoncé dans un pullman, j'observe ceux qui me ressemblent,  j'en vois deux qu'ont pas fait de gros efforts pour s'habiller : " Vous vivez au Brésil ? - Oh si peu !... on végète, tu viens aussi pour le champagne ?. Une française s'approche, décontractée : Marinette ancienne militante PSU, puis huit ans au vert : période chèvres,  " j'ai tout vendu pour partir au Brésil, suis en pleine reconversion, salut Yves."  Yves me présente à son amie Anna, une ravissante brésilienne. " Sans vous, j'aurais flippé comme une bête". Yves, ancien trotskiste, devenu voyageur puis amateur de jazz après avoir été rocky !

Yves, après avoir discuter en brésilien avec Anna m'invite à venir habiter chez eux : " Y'a d'la place... en échange, tu me donnes des cours de guitare! " Marinette, la colocataire est d'accord. C'est après avoir passé la journée à récupérer mes affaires disséminées chez "mama favela" et dans l'hôtel le moins cher de Salvador que je vais rejoindre mes nouveaux copains.

 

Yves et beth au bresil

Mes amis Anna et Yves

La boîte à sel. Le soir même, Yves m'emmène dans une sorte de petit theâtre avec scène et coulisses nommée "La boîte à sel".Il me présente au régisseur. Un chanteur guitariste est déjà en place, puis un autre le remplace, je ne connais aucun de leurs morceaux; leurs accompagnements sont des plus simples. Arrive mon tour, bien certain d'épater l'assistance. J'ai sous les yeux la liste des morceaux rôdés à Berlin en 77. Je chante en brésilien "Garota do Ipanema", "Samba da volta", "Meditaçao" etc. Un frissonnement parcours l'assistance, puis, au 3ième morceau quelqu'un lance une phrase dans la salle... Yves se précipite derrière moi : " Il vaut mieux que tu arrêtes... termines avec "Mas que nada" de Gorje Ben", ils connaisent. Des applaudissement accueillent ce morceau. Dans les coulisses, il m'explique : " Tu ne leur a chanté que des chansons d'amour de Jobim et à Salvador, ils n'aiment pas trop les cariocas de Rio." Et j'étais, en plus, dans un milieu littéraire et contestataire !

Au Choro do mar. Le lendemain, on alla au "Chero do mar". Enfin, le premier groupe  brésilien depuis que je traine mes savates dans tous les coins de Salvador. Le leader du groupe parle un peu français comme mon ami Paolo, chanteur guitariste de Munich. La musique n'est pas mal mais d'un niveau inférieur à celles que j'ai pu écouter à Berlin, à Copenhague ou à Paris notamment aux "Trois Mailletz" par le groupe Maracatu.

Chez Walter. Le lendemain, je suis invité à faire un bœuf chez eux. Pour des musicos qui joue à peu près régulièrement, c'est loin d'être l'aisance pécuniaire... D'après Anna la compagne brésilienne de Yves, ils sont connus à Salvador. Il me faut un certain temps pour entrer dans leur jeu rythmique ; toujours est-il qu'au bout de quelques minutes de flottement, ça se met à balancer terrible. Ce sont des acrobates de la pulsation ces percus blacks et moi, je me un sens un peu enfermé dans ma culture... 10 ans de jazz laissent des empruntes difficile à effacer. Mais ce qui les surprend le plus, ayant beaucoup écouté Django, Charlie Christian et surtout Barney Kessel, c'est le fait que j'improvise "légato" sur ma guitare... Les improvisations brésiliennes sont toujours en accords et uniquement rythmiques... Ils sont surpris... en redemandent que j'en suis un peu gêné ! Pour les sambas, Walter le guitariste me montre une batida main droite, différente de la mienne, relevée dans un disque de Sergio Mendès (17 ans plus tôt à Hong-Kong !) Walter, lui a eu l'occasion d'accompagner Elis Regina et la vieille Clementina do Jésus : une sacrée référence en samba!

Avec milton banana

Avec le batteur Milton Banana,

D'après ses copains : "C'est Milton, le créateur des bossas novas. Il a accompagné Stan Getz" me disent-ils ! ! Leur conclusion est simple : "Tu devrais aller à Rio, tu ferais des disques !!"  Oui, mais voilà, après mon vol à Cayenne, je n'avais plus assez de sous! Je décide aussitôt d'en faire venir de France. Alors vont  commencer des démarches qui vont durer une semaine.


La galère du change . Le Crédit mutuel était représenté à Salvador. Du fait de la mobilité très rapide du taux de change entre le Franc et le Cruzero,  j'ai du me présenter à l'ouverture de la banque tous les matins. L'opération ne devait durer qu'une fraction de minute par téléphone avec le Crédit Mutuel d'Avallon et : pendant ce laps de temps, la "Clé" devait s'ouvrir entre les 2 pays ! ... à condition d'avoir les bonnes personnes brésilienne et française au bout du fil pendant la durée de l'ouverture ... Au bout d'une semaine, après m'être levé tous les matins à 7 heures  pour rejoindre, à pied, la banque située à 2 km... je dus abandonner mon voyage à Rio.


16 juillet : Patrick Dewaere s'est suicidé... De gros titres barrent les journaux ...le nom d'Elis Regina apparait également dans la même phrase. J'apprends a cet instant qu'elle aussi a disparu d'une overdose... Elis n'est plus ? Quel choc ! Elis qui m'a donné tant d'émotion, de frissons musicaux à Hong-Kong après la séparation du "Duo Francine et Philou"...(voir le site : ecolequiswingue.e-monsite.com ). Deux artistes aussi proches dans leurs difficultés de vivre qui vont nous priver de leurs talents. C'est insupportable !


A propos de Gus Viseur ! Je suis toujours à la recherche de petits groupes  jouant des chorinhos, partido alto, sambas et baiao écoutés dans ma jeunesse. Yves et Anna se parlent en brésilien. Yves : "Tu es dans le cas d'un brésilien qui serait amoureux de Gus Viseur et qui rechercherais les morceaux de son répertoire à Maubeuge ! -Ah bon! " . Reconversation en brésilien  : Yves traduit l'avis d'Anna : "A Rio, tu pourrais trouver ce que tu aimes "

On est retourné au "Chero do mar". D'entrée on m'a demandé de chanter un "C'est si bon", pas mal applaudit, peut-être grâce à la version internationale de Louis Armstrong! Walter et son groupe ne sont pas plus récompensés, c'est réconfortant ^pour moi et triste à la fois ! Les gens viennent pour les paroles  de Chico Barque et Veloso mais semblent insensibles aux musiques qui ont fait le tour du monde grâce à leur richesse musicale... Aussi Walter n'a guère le souci de faire des arrangements. Son percu : Milton  m'excite toujours autant avec sa manière de jouer, assis sur une chaise, son abatuca  horizontale coincée entre ses genoux et le devant de la chaise. Il frappe les cou-coum's de la main gauche, le balai dans sa main droite flagelle le contreplaqué de l'abatuca conique. son pied droit sautille sur sa charleston d'un autre âge. Au bar, j'essaie de faire comprendre à Walter avec un maximum de tact qu'en Europe, on se fait une autre idée de la musique brésilienne... on en a des images de carnaval avec des plumes en couleurs plein la tête! Ici les groupes ressemblent à des bandes de copains en tricots de corps qui chantent pour un anniversaire.

Je suis engagé pour chanter samedi prochain 2 fois 40 m/n pour 5000 crueros. Pour Walter : " C'est un bon tarif, nous ont touche 12000 cruzeros pour 4". Ça démarre !  mais va falloir attendre une semaine avant de chanter de nouveau. Et puis, je ne suis pas venu pour chanter "C'est si bon" !  Mon tour du monde, c'est du passé !


Un groupe salsa ! !  Mardi soir, on est allé  au "Wagon" tenu par un Suisse allemand et un Italien. Le mardi est le jour réservé à la Salsa et au Jazz.  Dans l'herbe, un vrai vieux wagon sur ses rails, très bien arrangé avec une estrade couverte pour l'orchestre. Tous les musiciens sont blancs. Ça surprend, car à Salvador, la population est métissée noire à 80%. Ces deux boîtes dont je viens de parler sont situées à "Rio Vermeil", le quartier chic de Salvador.  Surprise ! Montent sur la scène le barman Suisse avec un ténor et son associé Italien avec une guitare. D'après Yves ce guitariste parle 5 langues dont le français. A la guitare, il déborde de technique. Le batteur et le bassiste sont Argentins. Le pianiste et le congaceiro Allemands. Seul, un tout jeune blondinet de 18 ans, percussionniste fantastique est Brésilien. Il passe d'une percussion  à l'autre en dansant... Yves lui demande où il a appris tout cela...  Il répond :  "Avec ma nounou !, elle était noire et cubaine! "

Bœuf  mémorable à deux guitares : "Il remember april" et "Autumn leaves". Après des impros 8/8 et des 4/4 , le guitariste et moi sommes devenus copains : faire des 4/4 réussis, s'épater mutuellement, répondre par des phrases humoristiques, quel pied!. La semaine suivante, j'appris que ce type avait joué à Cuba, à la Jamaïque et qu'il avait pris des cours avec Quincy Jones... Il était venu échouer là, à Salvador pour s'éclater tous les mardis et vendre des saucisses de Francfort avec son associé les autres jours de la semaine... Après m'avoir entendu chanter "Les feuilles mortes" et "Revoir Paris", il me propose de chanter tous les samedis un passage de 40 minutes  pour attirer une autre clientèle. " Quand je chante les belles mélodies de Toquinho/Vinicius de Moraes, personne n'écoute" me dit-il..." J'ai chanté deux samedis au "Wagon" , un peu applaudit sans doute pour la bonne raison d'être français... Faut dire que la génération des 30 ans qui vient au "Wagon" ne connait pas mon répertoire rodé et apprécié à Berlin : "Legrand, Trenet, Brassens" ... On m'a réclamé "Aline" de Christophe...


6 Aoùt : Retour à Belem.  Après 37h de car, sous prétexte d'être arrivé trop tôt, hier matin, à l'hôtel, on m'a demandé de payer 2 nuits. Bref, comme je suis parti en colère, me suis trouvé dans la rue à 9h ce matin.

1982 eglise a belem

Déjà une heure que j'attends dans cette église baroque. Des personnes âgées ou entre 2 âges sont assises sur un long banc. Tout le monde a ses vêtements lavés, repassés... Je me suis assis là, parmi eux, casant mon sac et ma guitare en essayant de ne pas  déranger leur sérénité. Une dame de charité , bien habillée, la cinquantaine, entre dans l'église, des petits billets verts dans les mains : des cruzeros (100 cruzeros valaient 3f50). La "chariteuse" commence sa distribution aux dames bien propres qui m'entourent. Elle passe de l'une à l'autre en susurrant quelques mots à chacune. Arrive mon tour ! La chariteuse me dévisage, je fais "non" de la tête. Elle continue sa distribution, puis, elle sort, soulagée d'avoir sans doute gagné "Un pe'tit coin d'paradis" cher à Brassens. Les conversations reprennent. Cinq minutes plus tard entre une autre dame et la distribution reprend ... Une quinzaine de personnes, de tous les âges sont en permanence dans l'église : la foi est vivante, fugitive au Brésil, on prie une minute ou deux puis on ressort. Un pépé vient de s'endormir à côté de moi, a-t'il mal appris la leçon ! ou a-t-il  trouvé un endroit calme pour piquer un roupillon...? Il est 11h 15,  je décide de sortir et de gagner mon petit hôtel qui semble "de passe" mais la piaule ne coûte qu'une vingtaine de francs. Il me reste juste assez de cruzeros pour vivre 3 jours à Belem. Ici tout ferme le samedi midi. J'arpente des km de rue dans la direction de l'aéroport. Là, je pourrai peut-être manger quelque chose.

A Belem, j'ai vu enfin une batteria. Un orchestre jouait vendredi soir au Bar-dancing attenant à l'embarcadère des bateaux qui remontent l'Amazone pendant 2000 km.jusqu' à Manaus. Un trio était là également : un cavaquinho,une guitare et batterie. Ils jouaient de très jolis chorinhos, des baiaos et des danses très proches de la rumba cubaine. Un couple dansait, très enlacé.


Bilan du voyage musical. Suis  un peu déçu de mon voyage, je n'ai pas trouvé ce que j'attendais musicalement, je n'ai pas une seule fois dansé, participé à une batucada, écouter des joueur de bossas... Les français me disent : ce n'est pas la saison! Drôle de réponse, comme si les musiciens poussaient comme des champignons juste avant le carnaval ! Quand j'ai entendu les musiciens du Méridien, déçu, je me suis posé la question : ce sont les meilleurs ? A Hong-Kong, certains Philippins reproduisaient à la perfection le "Trio Tamba": trois chanteurs instrumentistes brésiliens prestigieux. Les meilleurs groupes sont sans doute à Rio où en tournée, éparpillés dans le monde. Walter et son groupe m'ont fait jouer dans les trois endroits à la mode... Lui,  rêve d'aller en Europe avec sa formation.

PS : Mais si ! j'ai entendu une banda ! A Salvador, de loin, je suis attiré par des : "Boum taboum...Boum taboum"  aux cuivres pas très accordés, qu'importe. C'est aussi ce style campagnard que je recherche... Un "zaboumba" (grosse caisse),  une caixa (caisse claire), 2 trompettes et un trombone. Ils jouaient sur le trottoir, payés par une grande surface de disques afin d'attirer les gens pour liquider son stock. Ils enchaînent baiaos et sambas, toutes les danses du répertoire années cinquante des dimanches à "Robinson" dont les "originaux", étaient chantés dans la langue, par les sud-américains de Paris vivant dans le quartier de l'Odéon. On les retrouvait : à "L'étable" et à "L'escale". Hugues Aufray faisait tous les soirs, en scooter,  la tournée de ces boîtes . (Voir le site : ecolequiswingue.e-monsite.com ) J'ai envie de danser, mais,je suis le seul apparemment... Les gens passent, jettent un coup d'oeil. Un clown embarbouillé  distribue de la pub pour des ventes de CD Iglésio-dégoulinantes. Dans la salle brillante de lumière, des noirs, casques aux oreilles écoutent le dernier reggae de Bob Marley. Dehors, la musique naîve, à la fois endiablée et poétique de leurs pères sert de parade à clown, je suis sidéré!  Une fille,très noire,aux formes pulpeuses et surtout bien roulée se met à danser. Son corps exulte, marque les syncopes, son sourire gourmand me fait envie... Quelques passants s'arrêtent, la dévisagent, froids, un peu génés... Je regarde l'un d'eux, son air se veut complice en me faisant comprendre qu'elle est un peu simplette! Son corps prend les formes du rythme... C'est trop d'être au Brésil et d'être ainsi frustré... Je me plante devant elle, l'imite, elle me dévore, heureuse... et moi donc !  Quel pied ! Faut vraiment aimer la musique brésilienne pour accepter de passer pour un demeuré !!

 

 

 

 

 

 

 

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